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ANDROMAQUE

1310J’aime à voir que du moins vous vous rendiez justice[1],
Et que voulant bien rompre un nœud si solennel,
Vous vous abandonniez au crime en criminel.
Est-il juste, après tout, qu’un conquérant s’abaisse
Sous la servile loi de garder sa promesse ?
1315Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter ;
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.
Quoi ? sans que ni serment ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, amant d’une Troyenne ?
Me quitter, me reprendre, et retourner encor
1320De la fille d’Hélène à la veuve d’Hector ?
Couronner tour à tour l’esclave et la princesse ;
Immoler Troie aux Grecs, au fils d’Hector la Grèce ?
Tout cela part d’un cœur toujours maître de soi,
D’un héros qui n’est point esclave de sa foi.
1325Pour plaire à votre épouse, il vous faudroit peut-être
Prodiguer les doux noms de parjure et de traître.
Vous veniez de mon front observer la pâleur[2],

  1. Mlle Clairon, dans ses Mémoires (p. 98 et 99), a fait sur la manière d’interpréter ce passage au théâtre des remarques dignes d’être conservées : « Le couplet du quatrième acte, dit-elle, que le public, les gens de lettres et les comédiens appellent le couplet d’ironie, ne peut, selon moi, porter ce nom. L’ironie demande une légèreté d’esprit, une tranquillité d’âme que certainement Hermione n’a pas… Un visage où l’indignation et la noblesse se peignent également, des sons étouffés dans le premier moment par le dépit et la fureur, les mouvements de colère qu’elle ne peut plus retenir, ne peuvent produire dans ses sons et sur sa physionomie que l’image du sarcasme le plus amer ; l’horreur qu’elle doit éprouver elle-même en rappelant à Pyrrhus les cruautés dont il s’est rendu coupable, ne peut descendre jusqu’à l’ironie. Hermione doit donner à ses reproches toute l’amertume, tout le mépris qui peut les rendre encore plus insultants, mais elle ne veut ni ne doit plaisanter. » Mais il faut dire que Mlle Clairon, en faisant cette remarque, pourrait bien s’être particulièrement proposé de blâmer le jeu de Mlle Dumesnil, sa rivale. « Lorsque Mlle Dumesnil, dit Lemazurier, jouait Hermione, il s’en fallait de très-peu de chose que son grand couplet d’ironie n’eût l’air d’une mauvaise plaisanterie ; mais elle savait s’en garantir, et ne dépassait point la nuance délicate au delà de laquelle le comique se serait trouvé. » (Galerie historique, etc., p. 199.)
  2. Var. Votre grand cœur sans doute attend après mes pleurs.
    Pour aller dans ses bras jouir de mes douleurs ?