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ANDROMAQUE

du théâtre de MM. Montfleury[1], s’appuyant sur l’autorité de Mlle Desmares, arrière-petite-fille du premier interprète des fureurs d’Oreste, disent que Gueret a fait un conte. On pourrait supposer en effet que cette histoire de Montfleury, tué par son jeu forcené, n’a été imaginée que pour faire pendant à celle de Mondory, qui avait été frappé d’une attaque d’apoplexie en jouant les fureurs d’Hérode dans la Mariane de Tristan. Il est bien difficile cependant de récuser le témoignage contemporain de Robinet, dont les termes nous semblent assez clairs dans la lettre en vers du 17 décembre 1667, où il annonce la mort de Montfleury,


Qui d’une façon sans égale
Jouoit dans la troupe royale,
Non les rôles tendres et doux,
Mais de transports et de courroux,
Et lequel a, jouant Oreste,
Hélas ! joué de tout son reste.
Ô rôle tragique et mortel,
Combien tu fais perdre à l’Hôtel
En cet acteur inimitable !


Qu’importe au surplus ? La tragédie de Racine n’avait pas besoin, pour conquérir la célébrité, de tuer un malheureux comédien. Ne cherchons, si l’on veut, dans l’anecdote, vraie ou fausse, qu’une preuve de l’impression produite sur les spectateurs de ce temps par la violence du jeu de Montfleury. Mais la dernière scène d’Andromaque n’a pas été faite pour être jouée de sang-froid ; et cette fois les transports démoniaques de l’acteur purent ne pas mériter de reproches. Du reste les défauts qu’il paraît avoir eus ne l’empêchèrent évidemment pas d’être fort admiré dans la tragédie de Racine, puisque M. de Lionne écrivait à Saint-Évremond que « la pièce étoit déchue par sa mort. » Ajoutons que Montfleury, si sévèrement jugé par Molière, avait cependant la réputation d’un des meilleurs comédiens de ce temps. Chapuzeau le place à côté de Floridor. Ils étaient l’un et l’autre « les grands modèles, dit-il[2],

  1. Cité dans l’Histoire du Théâtre français, tome VII, p. 125-137.
  2. Théâtre françois, p. 183.