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NOTICE.

se demander s’il suffit de beaucoup réduire l’exagération de Geoffroy, et s’il reste, dans la comparaison qu’il fait, un fond de vérité. Mme de Staël, dans le chapitre de l’Allemagne, cité plus haut, donne à entendre que le jeu de Talma avait précisément les mérites que le journaliste lui refuse. C’est en parlant de la sublime interprétation de cet acteur qu’elle dit : « Les grands acteurs se sont presque toujours essayés dans les fureurs d’Oreste ; mais c’est là surtout que la noblesse des gestes et des traits ajoute singulièrement à l’effet du désespoir. La puissance de la douleur est d’autant plus terrible, qu’elle se montre à travers le calme et la dignité d’une belle nature. »

À cette époque des magnifiques représentations de Talma, d’autres rôles de la tragédie d’Andromaque étaient joués avec un talent qui a laissé des souvenirs, quoiqu’il ne pût rien avoir de comparable à celui du tragédien sans pareil. Lafon, qui avait un peu d’emphase, mais du feu, de la sensibilité, de la noblesse, représentait, avec un grand succès, le personnage de Pyrrhus. Lorsque les comédiens français furent réunis en une seule troupe en 1799, Mlle Raucourt, élève de Clairon, dont les débuts remontaient à l’année 1772, brilla dans plusieurs des grands rôles des tragédies de Racine, dans celui d’Hermione entre autres. Sa beauté, sa fière énergie y étaient fort admirées. On lui reprochait toutefois dans les scènes violentes, dans les emportements d’Hermione, quelque exagération et une férocité à laquelle la rudesse de sa voix donnait un caractère trop mâle. Peu après parut une autre Hermione, dont les qualités étaient entièrement différentes. C’était Mlle Duchesnois, qui devait longtemps, à côté de Talma, contribuer aux splendeurs de cette belle époque du théâtre français, et à laquelle Mlle Georges, formée par Mlle Raucourt, disputait seule parmi les tragédiennes la faveur du public. Mlle Duchesnois, qui, par l’expression touchante de son jeu, savait, mieux que nulle autre, faire couler les larmes, avait mérité d’être appelée l’actrice de Racine. Peut-être, avec une telle nature de talent, lui manquait-il quelque chose pour le rôle d’Hermione. Il parait cependant que, dès le temps de ses débuts, elle ravissait les spectateurs dans les scènes pathétiques des deux derniers actes. On y regrettait seulement que dans l’ironie elle ne mît pas assez d’amertume ni de force, et que sa voix conservât trop souvent encore des