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ANDROMAQUE

145Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
De voir le fils d’Achille et le vainqueur de Troie.
Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups :
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous ;
Et vous avez montré, par une heureuse audace,
150Que le fils seul d’Achille a pu remplir sa place.
Mais ce qu’il n’eût point fait, la Grèce avec douleur
Vous voit du sang troyen relever le malheur,
Et vous laissant toucher d’une pitié funeste,
D’une guerre si longue entretenir le reste.
155Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ?
Nos peuples affoiblis s’en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles ;
Et dans toute la Grèce il n’est point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
160D’un père ou d’un époux qu’Hector leur a ravis.
Et qui sait ce qu’un jour ce fils peut entreprendre[1] ?
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
Tel qu’on a vu son père embraser nos vaisseaux,
Et la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
165Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ?
Vous-même de vos soins craignez la récompense,
Et que dans votre sein ce serpent élevé
Ne vous punisse un jour de l’avoir conservé.
Enfin de tous les Grecs satisfaites l’envie,
170Assurez leur vengeance, assurez votre vie ;
Perdez un ennemi d’autant plus dangereux

  1. Sollicita Danaos pacis incertae fides
    Semper tenebit, semper a tergo timor
    Respicere coget, arma nec poni sinet
    Dum Phrygibus animos natus eversis dabit.

    (Troyennes de Sénèque, vers 530-534.)

    · · · · · · Magna res Danaos movet,
    Futurus Hector : libera Graios metu.

    (Ibidem, vers 551 et 552.)