Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Doutent toujours du bien qu’ils souhaitent le plus.
Oui, puisque ce héros veut que j’ouvre mon âme,
J’écoute avec plaisir le récit de sa flamme,
Je craignais que le temps n’en eût borné le cours ;
Je souhaite qu’il m’aime, et qu’il m’aime toujours.
Je dis plus : quand son bras força notre frontière,
Et dans les murs d’Omphis m’arrêta prisonnière,
Mon cœur, qui le voyait maître de l’univers,
Se consolait déjà de languir dans ses fers,
Et loin de murmurer contre un destin si rude,
Il s’en fit, je l’avoue, une douce habitude,
Et de sa liberté perdant le souvenir,
Même en la demandant, craignait de l’obtenir.
Jugez si son retour me doit combler de joie.
Mais tout couvert de sang veut-il que je le voie ?
Est-ce comme ennemi qu’il se vient présenter ?
Et ne me cherche-t-il que pour me tourmenter ?

Éphestion
Non, Madame : vaincu du pouvoir de vos charmes,
Il suspend aujourd’hui la terreur de ses armes,
Il présente la paix à des rois aveuglés,
Et retire la main qui les eût accablés.
Il craint que la victoire, à ses vœux trop facile,
Ne conduise ses coups dans le sein de Taxile.
Son courage, sensible à vos justes douleurs,
Ne veut point de lauriers arrosés de vos pleurs.
Favorisez les soins où son amour l’engage ;
Exemptez sa valeur d’un si triste avantage ;
Et disposez des rois qu’épargne son courroux
À recevoir un bien qu’ils ne doivent qu’à vous.

Cléofile
N’en doutez point, Seigneur, mon âme inquiétée
D’une crainte si juste est sans cesse agitée :
Je tremble pour mon frère, et crains que son trépas
D’un ennemi si cher n’ensanglante le bras.