Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’engager à mon Fils par des nœuds immortels.
Mais auſſi-toſt ma main, à moy ſeule funeſte,
D’une infidelle vie abbregera le reſte,
Et ſauvant ma vertu, rendra ce que je doy,
A Pyrrhus, à mon Fils, à mon Epoux, à moy.
Voila de mon amour l’innocent ſtratagéme ;
Voila ce qu’un Epoux m’a commandé luy-méme.
J’iray ſeule rejoindre Hector, & mes Ayeux.
Cephiſe, c’eſt à toy de me fermer les yeux.

Cephise

Ah ! ne pretendez pas que je puiſſe ſurvivre…

Andromaque

Non, non, je te deffens, Cephiſe de me ſuivre.
Je confie à tes ſoins mon unique treſor,
Si tu vivois pour moy, vy pour le Fils d’Hector.
De l’eſpoir des Troyens ſeule dépoſitaire,
Songe à combien de Roys tu deviens neceſſaire.
Veille auprés de Pyrrhus. Fay-luy garder ſa foy.
S’il le faut, je conſens que tu parles de moy.
Fay luy valoir l’hymen, où je me ſuis rangée,
Dy-luy, qu’avant ma mort je luy fus engagée,
Que ſes reſſentimens doivent eſtre effacez,
Qu’en luy laiſſant mon Fils, c’eſt l’eſtimer aſſez.
Fay connoiſtre à mon Fils les Heros de ſa Race,
Autant que tu pourras, conduy-le ſur leur trace.
Dy-luy, par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plûtoſt ce qu’ils ont fait, que ce qu’ils ont eſté.
Parle luy tous les jours des vertus de ſon Pere,
Et quelquefois auſſi parle-luy de ſa Mere.
Mais qu’il ne ſonge plus, Cephiſe, à nous vanger,
Nous luy laiſſons un Maiſtre, il le doit ménager.
Qu’il ait de ſes Ayeux un ſouvenir modeſte.
Il eſt du ſang d’Hector, mais il en eſt le reſte.
Et pour ce reſte enfin j’ay moy-meſme en un jour
Sacrifié mon ſang, ma haine, & mon amour.