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LES FRERES ENNEMIS.


IOCASTE.

Ah ! mon Fils, de quel ſang revenez-vous taché ?
Eſt-ce du ſang d’un Frere, ou n’eſt-ce point du voſtre ?

ETEOCLE.

Non, Madame, ce n’eſt ni de l’un ni de l’autre.
Polinice à mes yeux ne s’eſt point preſenté,
Et l’on s’eſt peu battu d’un & d’autre coſté.
Du Camp des Argiens une troupe hardie,
M’a voulu de nos murs diſputer la ſortie.
J’ay fait mordre la poudre à ces audacieux,
Et leur ſang eſt celuy qui paroiſt à vos yeux.

IOCASTE.

Mais pourquoy donc ſortir auecque voſtre armée ?
Quel eſt ce mouvement qui m’a tant alarmée ?

ETEOCLE.

Madame, il eſtoit temps que j’en uſaſſe ainſy,
Et je perdois ma gloire à demeurer icy.
Je n’ay que trop langui derriere une muraille,
Je brûlois de me voir en un champ de bataille.
Lors que l’on peut paroiſtre au milieu des hazards
Un grand cœur eſt honteux de garder des rempars.
J’eſtois las d’endurer que le fier Polinice
Me reprochaſt tout haut cét indigne exercice,
Et criaſt aux Thebains, afin de les gagner,
Que je laiſſois aux fers ceux qui me font regner.
Le Peuple à qui la faim ſe faiſoit déja craindre,
De mon peu de vigueur commençoit à ſe plaindre,
Me reprochant déja qu’il m’avoit couronné,
Et que j’occupois mal le rang qu’il m’a donné.
Il le faut ſatisfaire, & quoy-qu’il en arrive,
Thebes dés aujourd’huy ne ſera plus captive,
Je veux, en n’y laiſſant aucun de mes ſoldats,
Quelle ſoit ſeulement juge de nos combats.
J’ay des forces aſſez pour tenir la camgagne,