Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/277

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Ce choix digne des ſoins d’un Prince qui vous aime ;
Digne de vos beaux yeux trop long-temps captivez,
Digne de l’Univers à qui vous vous devez.

JUNIE.

Seigneur, avec raiſon je demeure eſtonnée.
Je me voy dans le cours d’une meſme journée
Comme une Criminelle amenée en ces lieux :
Et lors qu’avec frayeur je parois à vos yeux,
Que ſur mon innocence à peine je me fie,
Vous m’offrez tout d’un coup la place d’Octavie.
J’oſe dire pourtant que je n’ay merité
Ny cét excez d’honneur, ny cette indignité.
Et pouvez-vous, Seigneur, ſouhaitter qu’une Fille,
Qui vit preſque en naiſſant eſteindre ſa Famille,
Qui dans l’obſcurité nourriſſant ſa douleur
S’eſt fait une vertu conforme à ſon malheur,
Paſſe ſubitement de cette nuit profonde
Dans un rãg qui l’expoſe aux yeux de tout le mõde,
Dont je n’ay pû de loin ſoûtenir la clarté,
Et dont une autre enfin remplit la majeſté ?

NERON.

Je vous ay déja dit que je la repudie.
Ayez moins de frayeur, ou moins de modeſtie.
N’accuſez point icy mon choix d’aveuglement.
Je vous répons de vous, conſentez ſeulement.
Du ſang dont vous ſortez rappelez la mémoyre,
Et ne preferez point à la ſolide gloire
Des honneurs dont Ceſar pretend vous reveſtir,
La gloire d’un refus, ſujet au repentir.

JUNIE.

Le Ciel connoiſt, Seigneur, le fond de ma penſée.
Je ne me flate point d’une gloire inſenſée.
Je ſçay de vos preſens meſurer la grandeur.
Mais plus ce rang ſur moy répandroit de ſplendeur,