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TRAGEDIE.

Tous deux feront gemir les Peuples tour à tour,
Pareils à ces torrens qui ne durent qu’un jour,
Plus leur cours eſt borné, plus ils font de ravage,
Et d’horribles degaſts ſignalent leur paſſage.

IOCASTE.

On les verroit plûtoſt par de nobles projets,
Se diſputer tous deux l’amour de leurs ſujets.
Mais avoüez, Creon, que toute voſtre peine,
C’eſt de voir que la Paix rend voſtre attente vaine,
Quelle aſſeure à mes fils le Troſne où vous tendez,
Et va rompre le piege où vous les attendez.
Comme apres leur trépas le droit de la naiſſance,
Fait tomber en vos mains la ſupréme puiſſance,
Le ſang qui vous unit aux deux Princes mes Fils,
Vous fait trouver en eux vos plus grands ennemis ;
Et voſtre ambition qui tend à leur Fortune,
Vous donne pour tous deux une haine commune ;
Vous inſpirez au Roy vos conſeils dangereux,
Et vous en ſervez un pour les perdre tous deux.

CREON.

Je ne me repais point de pareilles chimeres,
Mes reſpects pour le Roy ſont ardens & ſinceres,
Et mon ambition eſt de le maintenir
Au Troſne où vous croyez que je veux parvenir.
Le ſoin de ſa grandeur eſt le ſeul qui m’anime,
Je hay ſes ennemis, & c’eſt là tout mon crime ;
Je ne m’en cache point, mais à ce que je voy,
Chacun n’eſt pas icy criminel comme moy.

IOCASTE.

Tant que pour ennemy le Roy n’aura qu’un Frere,
Sa perſonne, Creon, me fera toûjours chere.
De laſches Courtiſans peuvent bien le haïr,
Mais une Mere enfin ne peut pas ſe trahir.

ANTIGONE.

Vos intereſts icy ſont conformes aux noſtres,