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TRAGEDIE.

Un exemple ſi beau vous invite à le ſuivre,
Il ne faudra ceſſer de regner ni de vivre.
Vous pouvez en cedant un peu de voſtre rang,
Faire plus qu’il n’a fait en verſant tout ſon ſang.
Il ne faut que ceſſer de haïr voſtre Frere,
Vous ferez beaucoup plus que ſa mort n’a ſceû faire.
O Dieux ! aimer un Frere eſt-ce un plus grand effort,
Que de haïr la vie & courir à la mort ?
Et doit-il eſtre enfin plus facile en un autre,
De répandre ſon ſang, qu’en vous d’aimer le voſtre ?

ETEOCLE.

Son illuſtre vertu me charme comme vous,
Et d’un ſi beau trépas je ſuis meſme jaloux.
Et toutefois, Madame, il faut que je vous die,
Qtfun troſne eſt plus penible à quitter que la vie ;
La gloire bien ſouvent nous porte à la haïr,
Mais peu de Souverains font gloire d’obeïr.
Les Dieux vouloient ſon ſang, & ce Prince ſans crime
Ne pouvoit à l’Eſtat refuſer ſa Victime ;
Mais ce meſme païs qui demandoit ſon ſang,
Demande que je regne & m’attache à mon rang.
Juſqu’à ce qu’il m’en oſte il faut que j’y demeure.
Il n’a qu’à prononcer j’obeïray ſur l’heure,
Et Thebes me verra pour appaiſer ſon ſort,
Et deſcendre du Troſne, & courir à la mort.

CREON.

Ah ! Menecée eſt mort, le Ciel n’en veut point d’autre.
Faites ſervir ſon ſang ſans y joindre le voſtre,
Et puis qu’il l’a verſé pour nous donner la Paix,
Accordez-la, Seigneur, à nos juſtes ſouhaits.

ETEOCLE.

Et quoy meſme Creon pour la Paix ſe declare ?

CREON.

Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,
Vous vovez les malheurs où le Ciel m’a plongé.