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LES FRERES ENNEMIS.




SCENE III.

IOCASTE, ETEOCLE, POLINICE,
ANTIGONE, HEMON, CREON,


IOCASTE.


ME voicy donc tantoſt au comble de mes vœux,
Puiſque déja le Ciel vous raſſemble tous deux.
Vous revoyez un Frere, apres deux ans d’abſence,
Dans ce meſme Palais où vous priſtes naiſſance,
Et moy par un bon-heur où je n’oſois penſer,
L’un & l’autre à la fois je vous puis embraſſer.
Commencez donc, mes Fils, cette union ſi chere,
Et que chacun de vous reconnoiſſe ſon Frere,
Tous deux dans voſtre Frere enviſagez vos traits ;
Mais pour en mieux juger voyez-les de plus prés,
Surtout que le Sang parle & faſſe ſon office.
Approchez Eteocle, avancez Polinice.
Hé ! quoy ? Loin d’approcher vous reculez tous deux ?
D’où vient ce ſombre accüeil & ces regards faſcheux ?
N’eſt-ce point que chacun d’une ame irreſoluë,
Pour ſalüer ſon Frere, attend qu’il le ſaluë,
Et qu’affectant l’honneur de ceder le dernier,
L’un ni l’autre ne veut s’embraſſer le premier ?
Etrange ambition qui n’aſpire qu’au crime,
Où le plus furieux paſſe pour magnanime !
Le vainqueur doit rougir en ce combat honteux,
Et les premiers vaincus ſont les plus genereux.
Voyons donc qui des deux aura plus de courage,
Qui voudra le premier triompher de ſa rage.