Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
LES FRERES ENNEMIS.

Puiſque voſtre ennemi reçût de moi la vie ;
Cét ennemi ſans moy ne verroit pas le jour,
S’il meurt ne faut-il pas que je meure à mon tour ?
N’en doutez point, ſa mort me doit eſtre commune,
Il faut en donner deux, ou n’en donner pas une,
Et ſans eſtre ni doux ni cruels à demi,
Il faut me perdre ou bien ſauver voſtre ennemi.
Si la vertu vous plaiſt, ſi l’honneur vous anime.
Barbares, rougiſſez de commettre un tel crime,
Ou ſi le crime enfin vous plaiſt tant à chacun,
Barbares rougiſſez de n’en commettre qu’un.
Auſſi bien ce n’eſt point que l’amour vous retienne.
Si vous ſauvez ma vie en pourſuivant la ſienne,
Vous vous garderiez bien, cruels, de m’épargner,
Si je vous empeſchois un moment de regner.
Polinice, eſt-ce ainſi que l’on traitte une Mere ?

POLINICE.

J’épargne mon pays.

IOCASTE.

J’épargne mon pays. Et vous tuez un Frere.

POLINICE.

Je punis un méchant.

IOCASTE.

Je punis un méchant. Et ſa mort aujourd’huy.
Vous rendra plus coupable & plus méchant que luy,

POLINICE.

Faut-il que de ma main je couronne ce traiſtre,
Et que de Cour en Cour j’aille chercher un Maiſtre,
Qu’errant & vagabond je quitte mes Eſtats
Pour obſerver des Lois qu’il ne reſpecte pas ?
De ſes propres forfaits ſerai-je la Victime ?
Le Diadême eſt-il le partage du crime ?
Quel droit ou quel devoir n’a-t’il point violé ?
Et cependant il regne & je ſuis exilé.