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TRAGEDIE.


IOCASTE.

Il a pour luy le Peuple.

POLINICE.

Il a pour luy le Peuple. Et j’ay pour moy les Dieux.

ETEOCLE.

Les Dieux de ce haut rang te vouloient interdire,
Puis qu’ils m’ont élevé le premier à l’Empire.
Ils ne ſçavoient que trop lors qu’ils firent ce choix,
Qu’on veut regner toûjours quand on regne une fois.
Jamais deſſus le Troſne on ne vit plus d’un Maiſtre,
Il n’en peut tenir deux quelque grand qu’il puiſſe eſtre ;
L’un des deux toſt ou tard ſe verroit renverſé,
Et d’un autre ſoy-meſme on y ſeroit preſſé.
Jugez donc par l’horreur que ce meſchant me donne,
Si je puis avec luy partager la Couronne.

POLINICE.

Et moy je ne veux plus tant tu m’es odieux,
Partager avec toy la lumiere des Cieux.

IOCASTE.

Allez donc, j’y conſens, allez perdre la vie,
A ce cruel combat tous deux je vous convie.
Puiſque tous mes efforts ne ſçauroient vous changer,
Que tardez-vous ? Allez vous perdre & me vanger.
Surpaſſez s’il ſe peut les crimes de vos Peres,
Monſtrez en vous tuant comme vous eſtes Freres,
Le plus grand des forfaits vous a donné le jour,
Il faut qu’un crime égal vous l’arrache à ſon tour.
Je ne condamne plus la fureur qui vous preſſe,
Je n’ay plus pour mon làng ni pitié ni tendreflè,
Voſtre exemple m’apprend à ne le plus cherir,
Et moy je vais, Cruels, vous apprendre à mourir.

ANTIGONE.

Madame… ô Ciel ! Que vois-je ? Hélas rien ne touche !