Page:Racine - Britannicus 1670.djvu/24

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Je répondray, Madame, avec la liberté
D’un Soldat, qui ſçait mal farder la vérité.
Vous m’avez de Ceſar confié la jeuneſſe,
Je l’avouë, & je doy m’en ſouvenir ſans ceſſe.
Mais vous avois-je fait ſerment de le trahir,
D’en faire un Empereur, qui ne ſceût qu’obeïr ?
Non. Ce n’eſt plus à vous qu’il faut que j’en réponde,
Ce n’eſt plus voſtre fils. C’eſt le Maiſtre du monde.
J’en doy compte, Madame, à l’Empire Romain
Qui croit voir ſon ſalut, ou ſa perte en ma main.
Ah ! ſi dans l’ignorance il le faloit inſtruire,
N’avoit-on que Seneque, & moy pour le ſeduire ?
Pourquoy de ſa conduite éloigner les Flateurs ?
Faloit-il dans l’exil chercher des Corrupteurs ?
La Cour de Claudius en eſclaves fertile,
Pour deux que l’on cherchoit en eût preſenté mille,
Qui tous auroient brigué l’honneur de l’avilir,
Dans une longue enfance ils l’auroient fait vieillir.
De quoy vous plaignez-vous, Madame ? On vous revere.
Ainſi que par Ceſar, on jure par ſa Mere.
L’Empereur, il eſt vray, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l’Empire, & groſſir voſtre Cour.
Mais le doit-il, Madame ? Et ſa reconnoiſſance
Ne peut-elle éclater que dans ſa dépendance ?
Toûjours humble, toûjours le timide Neron
N’oſe-t-il eſtre Auguſte, & Ceſar que de nom ?
Vous le diray-je enfin ? Rome le juſtifie.
Rome à trois Affranchis ſi long-temps aſſervie,
A peine reſpirant du joug qu’elle a porté,
Du regne de Neron compte ſa liberté.
Que dis-je ? La Vertu ſemble meſme renaiſtre.
Tout l’Empire n’eſt plus la dépoüille d’un Maître.