Page:Racine - Britannicus 1670.djvu/33

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Belle, ſans ornement, dans le ſimple appareil
D’une Beauté qu’on vient d’arracher au ſommeil.
Que veux-tu ? Je ne ſçay ſi cette negligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris, & le ſilence,
Et le farouche aſpect de ſes fiers raviſſeurs,
Relevoient de ſes yeux les timides douceurs.
Quoy qu’il en ſoit, ravy d’une ſi belle veuë,
J’ay voulu luy parler & ma voix s’eſt perduë :
Immobile, ſaiſi d’un long eſtonnement
Je l’ay laiſſé paſſer dans ſon appartement.
J’ay paſſé dans le mien. C’eſt là que ſolitaire
De ſon image en vain j’ay voulu me diſtraire.
Trop preſente à mes yeux je croyois luy parler
J’aimois juſqu’à ſes pleurs que je faiſois couler.
Quelquefois, mais trop tard, je luy demandois grace ;
J’employois les ſoûpirs, & meſme la menaſſe.
Voilà comme occupé de mon nouvel amour
Mes yeux ſans ſe fermer ont attendu le jour.
Mais je m’en fais peut-eſtre une trop belle image
Elle m’eſt apparuë avec trop d’avantage,
Narciſſe, qu’en dis-tu ?

NARCISSE.
Narciſſe, qu’en dis-tu ? Quoy, Seigneur, croira-t-on

Qu’elle ait pû ſi long-temps ſe cacher à Neron ?

NERON.
Tu le ſçais bien, Narciſſe. Et ſoit que ſa colere

M’imputaſt le mal-heur qui luy ravit ſon Frere,
Soit que ſon cœur jaloux d’une auſtere fierté
Enviaſt à nos yeux ſa naiſſante beauté,
Fidelle à ſa douleur, & dans l’ombre enfermée
Elle ſe déroboit même à ſa Renommée.
Et c’eſt cette vertu ſi nouvelle à la Cour
Dont la perſeverance irrite mon amour.