Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.
En ce calme trompeur j’arrivai dans la Grèce ;
Et je trouvai d’abord ses princes rassemblés,
60Qu’un péril assez grand sembloit avoir troublés.
J’y courus. Je pensai que la guerre et la gloire
De soins plus importants rempliroient ma mémoire[1] ;
Que mes sens reprenant leur première vigueur[2],
L’amour achèveroit de sortir de mon cœur.
65Mais admire avec moi le sort dont la poursuite
Me fait courir alors[3] au piége que j’évite.
J’entends de tous côtés qu’on menace Pyrrhus ;
Toute la Grèce éclate en murmures confus ;
On se plaint qu’oubliant son sang et sa promesse
70Il élève en sa cour l’ennemi de la Grèce,
Astyanax, d’Hector jeune et malheureux fils,
Reste de tant de rois sous Troie ensevelis.
J’apprends que pour ravir son enfance au supplice
Andromaque trompa l’ingénieux Ulysse,
75Tandis qu’un autre enfant, arraché de ses bras,
Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.
On dit que peu sensible aux charmes d’Hermione,
Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne ;
Ménélas, sans le croire, en paroît affligé,
80Et se plaint d’un hymen si longtemps négligé.
Parmi les déplaisirs où son âme se noie,
Il s’élève en la mienne une secrète joie :
Je triomphe ; et pourtant je me flatte d’abord
Que la seule vengeance excite ce transport.
85Mais l’ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place :

  1. Mémoire, selon Subligny (III, 8), est impropre, au lieu d’esprit.
  2. Mal écrit, dit Subligny, qui affecte de prendre le mot sens dans une acception purement physique.
  3. Alors a été substitué par Racine à moi-même, déclaré cheville par Subligny.