Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/56

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D’une guerre si longue entretenir le reste.
Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector[1] ?
Nos peuples affoiblis s’en souviennent encor.
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles ;
El dans toute la Grèce il n’est point de familles
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils
D’un père ou d’un époux qu’Hector leur a ravis.
Et qui sait ce qu’un jour ce fils peut entreprendre ?
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
Tel qu’on a vu son père embraser nos vaisseaux,
Et, la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ?
Vous-même de vos soins craignez la récompense,
Et que dans votre sein ce serpent élevé
Ne vous punisse un jour de l’avoir conservé.
Enfin de tous les Grecs satisfaites l’envie.
Assurez leur vengeance, assurez votre vie ;
Perdez un ennemi d’autant plus dangereux
Qu’il s’essaîra sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS.

La Grèce en ma faveur est trop inquiétée[2],
De soins plus importants je l’ai crue agitée.
Seigneur ; et sur le nom de son ambassadeur,
J’avois dans ses projets conçu plus de grandeur.
Qui croiroit en effet qu’une telle entreprise
Du fils d’Agamemnon méritât l’entremise ;
Qu’un peuple tout entier, tant de fois triomphant.
N’eût daigné conspirer que la mort d’un enfant[3] ?

  1. Comparez Sénèque, Troas, 524-555. L’imitation, s’il y en a, est très peu serrée. Sénèque insiste sur la crainte des Grecs, Racine surtout sur leur désir de vengeance.
  2. Est inquiétée, s’inquiète. C’est le contraire qui se rencontre surtout au xviie siècle, le verbe pronominal au lieu du passif.
  3. Andromaque, dans Sénèque, accuse Ulysse d’être seulement fortis in pueri necem (v. 753), « brave pour le meurtre d’un enfant ».