Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/66

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Le sort vous y voulut l’une et l’autre amener :
Vous, pour porter des fers ; elle, pour en donner.
Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ?
Et ne diroit-on pas, en voyant au contraire
Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés,
Qu’elle est ici captive, et que vous y régnez ?
Ah ! qu’un seul des soupirs que mon cœur vous envoie,
S’il s’échappoit vers elle, y porteroit de joie !

ANDROMAQUE.

Et pourquoi vos soupirs seroient-ils repoussés ?
Auroit-elle ouhlié vos services passés ?
Troie, Hector, contre vous révoltent-ils son âme ?
Aux cendres d’un époux doit-elle enfin sa flamme ?
Et quel époux encore ! Ah ! souvenir cruel !
Sa mort seule a rendu votre père immortel.
Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes,
Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes.

PYRRHUS.

Hé bien. Madame, hé bien, il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence[1].
Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
Le fils me répondra des mépris de la mère ;

  1. Vers critiqués par Subligny (Préface), comme n’offrant pas un sens net. Le premier vers est bon ; c’est un tour racinien (cf. Notes grammat. 8) équivalent à : j’ai poussé la violence de mes vœux. Le second vers veut dire : pour s’arrêter désormais seulement dans l’indifférence ; mais ne — plus — que manque de netteté ; et le vers pourrait aussi bien signifier : pour ne pas s’arrêter désormais, sinon dans l’indifférence, pour s’arrêter ailleurs que dans l’indifférence, ce qui est le contraire du sens.