Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/93

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Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée[1].
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens qui pouvoient nous flatter,
C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôtcr.
Hélas ! lorsque lassés de dix ans de misère.
Les Troyens en courroux menacoient votre mère.
J’ai su de mon Hector lui procurer l’appui[2].
Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j’ai pu sur lui.
Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer.
Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer[3].

HERMIONE.

Je conçois vos douleurs. Mais un devoir austère,
Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire.
C’est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux.
S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme.
Faites-le prononcer : j’y souscrirai, Madame.


  1. Ille meos, primus qui me sibi junxit, amores
    Abstulit ; ille habeat secum servetque sepulcro.
    (Didon, dans Virg., Én. IV, 29.)

    « Mon premier époux a emporté mon amour : qu’il le retienne avec lui et le garde dans son tombeau. »

  2. Hélène, pleurant Hector, dit qu’elle en a toujours été bien traitée et qu’il la consolait des paroles amères qu’on lui adressait parfois (Iliade, XXIV, 768-72).

  3. Servire liceat : aliquis hoc régi negat ?

    dit Andromaque à Ulysse, lorqu’elle prie pour la vie d’Astyanax (Sénèq., Tr., 747.) « Qu’il ait le droit d’être esclave : peut-on refuser cela à un prince ? »