Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/97

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ANDROMAQUE.

Madame… Et que veux-tu que je lui dise encore ?
Auteur de tous mes maux, crois-tu qu’il les ignore ?
Seigneur, voyez l’état où vous me réduisez.
J’ai vu mon père mort, et nos murs embrasés ;
J’ai vu trancher les jours de ma famille entière,
Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,
Son fils, seul avec moi, réservé pour les fers[1].
Mais que ne peut un fils ? Je respire, je sers.
J’ai fait plus : je me suis quelquefois consolée
Qu’ici, plutôt qu’ailleurs, le sort m’eût exilée ;
Qu’heureux dans son malheur, le fils de tant de rois,
Puisqu’il devoit servir, fût tombé sous vos lois.
J’ai cru que sa prison deviendroit son asile.
Jadis Priam soumis fut respecté d’Achille[2] :
J’attendois de son fils encor plus de bonté.
Pardonne, cher Hector, à ma crédulité.
Je n’ai pu soupçonner ton ennemi d’un crime ;
Malgré lui-même enfin je l’ai cru magnanime.
Ah ! s’il l’étoit assez pour nous laisser du moins
Au tombeau qu’à ta cendre ont élevé mes soins,
Et que finissant là sa haine et nos misères,
Il ne séparât point des dépouilles si chères !

PYRRHUS.

Va m’attendre, Phœnix.



  1.  … Σφαγὰς μὲν Ἕϰτορος τροχηλάτους
    ϰατεῖδον, οἰϰτρῶς τ’ Ἴλιον πυρούμενον,
    αὐτὴ δὲ δούλη ναῦς ἐπ’ Ἀργείων ἔϐην.


    « J’ai vu Hector tué, et traîné par le char d’Achille, j’ai vu la déplorable Ilion brûler, et je suis montée esclave sur les vaisseaux des Grecs. »

    (Eurip., Andr., 400-403.)
  2. Iliade, XXIV, 468-520.