Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome1.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Preſt à rendre la vie, il en cache le reſte,
Et ſa mort au vainqueur eſt un piège funeſte ;
Et dans l’inſtant fatal que ce frère inhumain
Lui veut oſter le fer qu’il tenoit à la main,
Il luy perce le cœur ; & ſon ame ravie,
En achevant ce coup abandonne la vie.
Polynice frappé pouſſe un cri dans les airs,
Et ſon ame en courroux s’enfuit dans les enfers.
Tout mort qu’il eſt, Madame, il garde ſa colère,
Et l’on diroit qu’encore il menace ſon frère :
Son viſage, où la mort a répandu ſes traits,
Demeure plus terrible & plus fier que jamais.

Antigone
Fatale ambition, aveuglement funeſte !
D’un oracle cruel ſuite trop manifeſte !
De tout le ſang royal il ne reſte que nous ;
Et plût aux dieux, Créon, qu’il ne reſtat que vous,
Et que mon déſeſpoir, prévenant leur colère,
Eût ſuivi de plus près le trépas de ma mère !

Créon
Il eſt vrai que des dieux le courroux embraſé
Pour nous faire périr ſemble s’eſtre épuiſé ;
Car enfin ſa rigueur, vous le voyez, Madame,
Ne m’accable pas moins qu’elle afflige votre ame.
En m’arrachant mes fils…

Antigone
Ah ! vous régnez, Créon,
Et le troſne aiſément vous conſole d’Hémon.
Mais laiſſez-moi, de grace, un peu de ſolitude,
Et ne contraignez point ma triſte inquiétude.
Auſſi bien mes chagrins paſſeraient juſqu’à vous.
Vous trouverez ailleurs des entretiens plus doux :
Le troſne vous attend, le peuple vous appelle ;
Goûtez tout le plaiſir d’une grandeur nouvelle.
Adieu. Nous ne faiſons tous deux que nous geſner :
Je veux pleurer, Créon, & vous voulez régner.

Créon, arreſtant Antigone.
Ah, Madame ! régnez, & montez ſur le troſne :