Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Je ne vous dis plus rien. Cette lettre sincère

D'un malheureux amour contient tout le mystère;

Vous savez un secret que, tout prêt à s'ouvrir,

Mon cœur a mille fois voulu vous découvrir.

J'aime, je le confesse, et devant que votre âme,

Prévenant mon espoir, m'eût déclaré sa flamme,

Déjà plein d'un amour dès l'enfance formé,

A tout autre désir mon cœur était fermé.

Vous me vîntes offrir et la vie et l'empire,

Et même votre amour, si j'ose vous le dire,

Consultant vos bienfaits, les crut, et sur leur foi,

De tous mes sentiments vous répondit pour moi.

Je connus votre erreur, mais que pouvais-je faire?

Je vis en même temps qu'elle vous était chère.

Combien le trône tente un cœur ambitieux!

Un si noble présent me fit ouvrir les yeux.

Je chéris, j'acceptai, sans tarder davantage,

L'heureuse occasion de sortir d'esclavage;

D'autant plus qu'il fallait l'accepter ou périr;

D'autant plus que vous-même, ardente à me l'offrir,

Vous ne craigniez rien tant que d'être refusée;

Que même mes refus vous auraient exposée;

Qu'après avoir osé me voir et me parler,

Il était dangereux pour vous de reculer.

Cependant, je n'en veux pour témoins que vos plaintes:

Ai-je pu vous tromper par des promesses feintes?

Songez combien de fois vous m'avez reproché

Un silence témoin de mon trouble caché.

Plus l'effet de vos soins et ma gloire étaient proches,

Plus mon cœur interdit se faisait de reproches.

Le ciel, qui m'entendait, sait bien qu'en même temps

Je ne m'arrêtais pas à des vœux impuissants;

Et si l'effet enfin, suivant mon espérance,

Eût ouvert un champ libre à ma reconnaissance,

J'aurais, par tant d'honneurs, par tant de dignités,

Contenté votre orgueil et payé vos bontés,

Que vous-même peut-être...

Roxane