Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/184

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Je ne reconnois plus la foi de vos discours,
Qu’au loin que vous prendrez de m’éviter toujours.

XIPHARÉS.

Quelle marque, grands Dieux, d’un amour déplorable !
Combien, en un moment, heureux & misérable !
De quel comble de gloire & de félicités,
Dans quel abîme affreux vous me précipitez !
Quoi, j’aurai pu toucher un cœur comme le vôtre !
Vous aurez pu m’aimer ? Et cependant un autre
Possédera ce cœur dont j’attirois les vœux ?
Père injuste, cruel, mais d’ailleurs malheureux !
Vous voulez que je fuie, & que je vous évite ?
Et cependant le roi m’attache à votre fuite.
Que dira-t-il ?

MONIME.

N’importe, il me faut obéir.
Inventez des raisons qui puissent l’éblouir.
D’un héros tel que vous c’est-là l’effort suprême :
Cherchez, prince, cherchez, pour vous trahir vous-même.
Tout ce que, pour jouir de leurs contentemens,
L’amour fait inventer aux vulgaires amans.
Enfin, je me connois, il y va de ma vie.
De mes foibles efforts ma vertu se défie.
Je sais, qu’en vous voyant, un tendre souvenir
Peut m’arracher du cœur quelque indigne soupir.
Que je verrai mon ame, en secret déchirée ,
Revoler vers le bien dont elle est séparée.
Mais je sais bien aussi que, s’il dépend de vous
De me faire chérir un souvenir si doux,
Vous n’empêcherez pas que ma gloire offensée
N’en punisse aussi-tôt la coupable pensée ;
Que ma main, dans mon cœur, ne vous aille chercher
Pour y laver ma honte, & vous en arracher.
Que dis-je ? En ce moment, le dernier qui nous reste,
Je me sens arrêter par un plaisir funeste.
Plus je vous parle, & plus, trop foible que je suis.
Je cherche à prolonger le péril que je fuis.