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PHÈDRE.

Et les os diſperſés du Géant d’Épidaure,
Et la Crète fumant du ſang du Minotaure.
Mais quand tu récitois des faits moins glorieux,
Sa foi par-tout offerte, & reçue en cent lieux ;
Hélène à ſes parens dans Sparte dérobée ;
Salamine témoin des pleurs des Péribée ;
Tant d’autres, dont les noms lui ſont même échappés ;
Trop crédules eſprits que ſa flamme a trompés !
Ariane aux rochers contant ſes injuſtices ;
Phèdre enlevée enfin ſous de meilleurs auſpices ;
Tu ſais comme, à regret, écoutant ce diſcours,
Je te preſſois ſouvent d’en arrêter le cours.
Heureux, ſi j’avois pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d’une ſi belle hiſtoire.
Et moi-même, à mon tour, je me verrois lié ?
Et les dieux juſques-là m’auroient humilié ?
Dans mes lâches ſoupirs d’autant plus mépriſable,
Qu’un long amas d’honneurs rend Théſée excuſable,
Qu’aucuns monſtres par moi domtés juſqu’aujourd’hui,
Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui.
Quand même ma fierté pourroit s’être adoucie,
Aurois-je pour vainqueur dû choiſir Aricie ?
Ne ſouviendroit-il plus à mes ſens égarés
De l’obſtacle éternel qui nous a ſéparés ?
Mon père la réprouve ; &, par des loix ſévères,
Il défend de donner des neveux à ſes frères.
D’une tige coupable il craint un rejetton.
Il veut avec leur ſœur enſevelir leur nom ;
Et que, juſqu’au tombeau, ſoumiſe à ſa tutelle ;
Jamais les feux d’hymen ne s’allument pour elle.
Dois-je épouſer ſes droits contre un père irrité ?
Donnerai-je l’exemple à la témérité ?
Et dans un fol amour ma jeuneſſe embarquée…

Théramène

Ah, Seigneur, ſi votre heure eſt une fois marquée,
Le Ciel de nos raiſons ne ſait point s’informer.
Théſée ouvre vos yeux en voulant les fermer ;