Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/323

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Un cœur toujours nourri d’amertume ÔJ de pleurs ,
Dut connoître l’imour & fes folles douleurs ?
Refte du fang d’un roi, noble fils de la terre ,
Je fuis feule échappée aux fureurs de la guerre.
J’ai perdu , dans la fleur de leur jeune failon ,
Six frères , quel efpoir d’une illulhe maifon î
Le fer moiflonna tout j & la terre humedée
But, à regret , le fang des neveux d’Eredée.
Tu fais , depuis leur mort, quelle févère loi
Défend à tous les Grecs de foupirer pour moi.
On craint que de la fœur les flammes téméraires
Ne raniment un jour la cendre de Ces frères.
Mais tu fais bien aufli de quel œil dédaigneux
Je regardois ce foin d’un vainqueur foupçonneux.
Tu fais que , de tout temps à l’amour oppofée ,
Je rendois fouvcnt grâce à l’injufte Théfée ,
Dont l’heureufc rigueur fecondoit mes mépris.
Mes yeux alors , mes yeux n’avoient pas vu fon fils.
Non que , par les yeux feuls lâchement enchantée ,
J’aime en lui fa beauté , fa grâce tant vantée ,
Préfcns dont la nature a voulu l’honorer ,
Qu’il méprife lui-même , & qu’il femble ignorer.
J’aime, je prife en lui de plus nobles richefles ,
Les vertus de fon père , &C non point les foibleflcs.
J’aime , je l’avouerai , cet orgueil généreux
Qui jamais n’a fléchi fous le joug amoureux.
Phèdre en vain s’honoroit des foupirs de Théfée.
Pour moi, je fuis plus hère , & fuis la gloire aiféc
D’arracher un hommage à mille autres ofl^ert ,
Et d’entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible ,
De porter la douleur dam une ame infenfiblc ,
D’enchaîner un captif de Ces fers étonné ,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné J
C’c(t-là ce que je veux , c’eft-là ce qui m’irrite.
Hercule d defarmcr coûtoit moins qu’HippoIyte ;
Et vaincu plus fouvcnt , &: plutôt furmonté ,
Préparoit moins de gloire aux yeux qui l’ont domtc.