Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/36

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Si, dès le premier pas, renverſant tous ſes droits,
Je fondois mon bonheur ſur le débris des lois ?
Réſolu d’accomplir ce cruel ſacrifice,
J’y voulus préparer la triſte Bérénice.
Mais par où commencer ? Vingt fois, depuis huit jours,
J’ai voulu devant elle en ouvrir le diſcours ;
Et, dès le premier mot ma langue embarraſſée
Dans ma bouche, vingt fois, a demeuré glacée.
J’eſpérois que, du moins, mon trouble & ma douleur
Lui ſeroient preſſentir notre commun malheur.
Mais, ſans me ſoupçonner, ſenſible à mes allarmes,
Elle m’offre ſa main pour eſſuyer mes larmes ;
Et ne prévoit rien moins, dans cette obſcurité,
Que la fin d’un amour qu’elle a trop mérité.
Enfin, j’ai ce matin rappelé ma conſtance.
Il faut la voir, Paulin, & rompre le ſilence.
J’attends Antiochus, pour lui recommander
Ce dépôt précieux que je ne puis garder.
Juſque dans l’Orient je veux qu’il la remène.
Demain Rome, avec lui, verra partir la reine.
Elle en ſera bientôt instruite par ma voix ;
Et je vais lui parler pour la dernière fois.

Paulin

Je n’attendais pas moins de cet amour de gloire,
Qui par-tout, après vous, attacha la victoire.
La Judée aſſervie, & ſes remparts fumans,
De cette noble ardeur éternels monumens,
Me répondoient aſſez que votre grand courage
Ne voudroit pas, Seigneur, détruire ſon ouvrage ;
Et qu’un héros, vainqueur de tant de nations,
Sauroit bien, tôt ou tard, vaincre ſes paſſions.

Titus

Ah, que ſous de beaux noms cette gloire eſt cruelle !
Combien mes triſtes yeux la trouveroient plus belle,
S’il ne falloit encor qu’affronter le trépas !
Que dis-je ? Cette ardeur que j’ai pour ſes appas,
Bérénice en mon ſein l’a jadis allumée.
Tu ne l’ignores pas : toujours la renommée