DIVERSES. 205
vous ; car je vois qu'on vous fâche quand on dît que les poètes empoifonnent : & je crois qu'on vous fâcheroit encore davantage, fi l'on vousdifoit que vous n'empci- fonne^ point 5 que votre mufe cfl: une innocente : qu'elle n'eit pas capable de faire aucun mal j qu'elle ne donne pas la moindre tentation ; qu'elle ne touche pas feule- ment le cœur, 6c qu'elle le laiflè dans le même état où elle le trouve.
Ce difcours vous devroit flatter bien fenfiblement , puîfqu'il eft tout contraire à celui qui vous a fi rude- ment choqué. Mais, fi je ne me trompe , il vous déplaît encore plus que tout ce qu'a pu dire l'auteur des let- tres , Se pcu:-cae vcudriez-vous à préfent ne vous être pas piqué h mal à propos de ce qu'il a dit, que les poè- tes de théâtre font des empoifonneurs d'ames.
Je ne penfe pas aufli que ces poètes s'en offenfent , àc je crois qu'après vous , il n'y en a point qui ne fâ- chent que l'art du théâtre conhlle principalement dans la compofition de ces poijbns fpirituels. N'ont-ils pas toujours nommé la comédie Van de charmer , & n'ont- il pas cru , en lui donnant cette qualité , la mettre au- delfus de tous les arts î Ne voit-on pas que leurs ou- vrages font compofés d'un mélange agréable d'intri- gues j d'intérêts , de pafïions & de perfonnes , où ils ne confidèrent point ce qui eft véritable , mais feule- ment ce qui eft propre pour toucher les fpeftateurs , Se pour faire couler dans leurs cœurs des paffions qui les empoifonnent de telle forte, qu'ils s'oublient eux-mêmes, & qu'ils prennent un intérêt fenfible dans des avantures imaginaires î
Mais cet empoijonnement des cœurs qui les rend ou gais ou triftes , au gré des poètes , eft le plus puifianc effet de la comédie 5 & les poètes n'ont garde de s'of- fenfer, quand on leur dit qu'ils empoifonnent , puifque c'eft leur dire qu'ils excellent dans leur art , & qu'ils font tout ce qu'ils veulent faire.
Pourquoi donc trouvez-vous fi mauvais ce que tous I2S autres ne trouvent point délagrcable ? Et pourquoi'
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