Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/760

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Il est donc parfaitement vrai que certains écrivains socialistes, qui ne reconnaissent aucunement l’autorité de l’Église et qui ne partagent point nos croyances, ont tenté d’attribuer à leurs thèses une origine toute chrétienne. Tout au moins ils se sont plu à supposer une profonde influence du « principe socialiste » de l’Évangile[1]. M. de Laveleye a même dit que, « si l’on veut extirper le socialisme, il faut l’atteindre dans sa source et dans ses moyens de diffusion : proscrire le christianisme et brûler la Bible[2] ».

Nous ne saurions souscrire à aucun de ces jugements. Les générosités de la charité chrétienne n’ont rien à voir avec les théories d’égalité forcée, de contrainte et de spoliation ; le respect de la propriété inscrit dans le Décalogue et également imposé par le Nouveau Testament est inconciliable avec les tendances ou les revendications du socialisme ; enfin, entre le socialisme d’une part et le christianisme pur ou catholicisme de l’autre, il y a cette différence irréductible, que tous les initiateurs du socialisme ont favorisé les passions et réhabilité la chair, tandis que l’Évangile a pour trait distinctif de sa morale la mortification des sens et la lutte contre les passions[3].

Ce n’est pas tout : et si le socialisme était chrétien d’origine, comme le disait M. de Laveleye, ou au moins chré-

  1. « Quiconque, dit Nitti, examine avec impartialité les œuvres des premiers écrivains du socialisme, voit immédiatement quelle influence considérable a exercée sur eux le principe socialiste du christianisme et dans quelle mesure ce même principe a partout préparé le terrain aux revendications actuelles. Ceux mêmes qui, comme Saint-Simon, Cabet et plusieurs autres, firent preuve d’une hostilité plus marquée à l’égard du christianisme, en ont ressenti l’influence au-delà de ce que l’on croit communément » (Nitti, Socialisme catholique, tr. fr., p. 85).
  2. É. de Laveleye, le Socialisme contemporain, 10e édition, 1896, p. XLI. — À étudier particulièrement toute l’Introduction et les ch. vi, vii et viii.
  3. Cette antithèse est loyalement reconnue par Louis Blanc, Introduction à l’Organisation du travail, 1850, voyez plus haut, p. 625. Seulement Louis Blanc, au lieu d’y voir un des traits essentiels du christianisme, n’y voyait qu’une déviation du sens chrétien par réaction contre le paganisme. — Nous devons rappeler aussi les théories saint-simoniennes contre la mortification des sens (supra, p. 653).