Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/144

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chercher leurs besoins vers la France, en échange de leur or et de leur argent » ; mais encore le sens général du morceau nous contraint de rattacher tout entière cette théorie de la richesse agricole à la théorie de la population et à la certitude où est Vauban que « la grandeur des rois se mesure par le nombre de leurs sujets[1] ».

Bref, soit que l’on juge isolément la Dîme royale dans sa partie économique, soit qu’on la rapproche des nombreuses Oisivetés entre lesquelles elle se place dans l’ordre des temps[2], le mercantilisme de Vauban n’en éclate pas avec moins d’évidence. Vauban qui veut protéger les manufactures capables d’étouffer pacifiquement la concurrence des Hollandais sur le marché international ; Vauban qui veut faire anoblir les négociants enrichis à 200.000 écus et les inventeurs d’une mine d’or ou d’argent ; Vauban qui blâme la révocation de l’édit de Nantes, parce qu’elle a fait porter à l’étranger « 30 millions de l’argent le plus comptant » et fait perdre « nos arts et nos manufactures particuliers, la plupart inconnus aux étrangers, qui attiraient en France un argent très considérable de toutes les contrées de l’Europe » ; Vauban qui recommande l’essai du caféier dans le Midi et l’élevage des abeilles, mais qui blâme l’achat des épices et le commerce avec les Indes orientales, parce qu’il s’agit d’empêcher l’argent de sortir ; Vauban enfin, qui explique la puissance des Anglais par ce fait qu’ils « se sont rendus les maîtres et dispensateurs de l’argent le plus comptant de l’Europe, dont la meilleure partie demeure bien sûrement entre leurs mains» : certes, voilà un Vauban que Colbert n’aurait en rien contredit. Et pour Vauban, comme pour Colbert, le but de cette politique, purement nationale, c’est l’émancipation même de la France, pour que la France n’ait plus besoin de personne au monde.

  1. Dîme royale, éd. Daire, p. 47.
  2. Voyez Lœhmann, op. cit., p. 15.