Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/170

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l’édit d’Henri IV, qui avait ordonné de tenir en Mairie les deux tiers de chaque domaine. Tout cela procédait du faux principe que l’intérêt général, au lieu d’être, sauf exceptions, la résultante des intérêts particuliers, ne peut être connu que par l’État et qu’il a besoin d’être imposé par lui. C’était méconnaître que la liberté et la concurrence, en étant les meilleurs stimulants de la production, sont aussi les pourvoyeurs les plus vigilants de la consommation.

Dans ces conditions, le commerce des blés avait été anéanti ou ne s’était pas constitué. Le prix de toutes choses avait monté, par l’affaiblissement du pouvoir de la monnaie, mais celui du blé était resté stationnaire : Forbonnais l’estimait en moyenne, pour le règne de Louis XIV, à 10 livres le setier de Paris, comme pour le règne d’Henri IV[1]. Ce prix était surtout beaucoup trop irrégulier, par l’absence de débouchés extérieurs et par les entraves mises à la loi de l’offre et de la demande. Aussi la situation des campagnes était-elle devenue très misérable, et d’autant plus que les céréales tenaient alors dans le régime agricole plus de place encore qu’elles n’en occupent maintenant.

« C’est un fait, disait déjà Boisguilbert en 1697, que plus de la moitié de la France est en friche ou mal cultivée, c’est-à-dire beaucoup moins qu’elle ne pourrait l’être et même qu’elle ne l’était autrefois[2] » ; et le contrôleur général de Machault écrivait en 1749, dans son Mémoire : « On ne saurait imaginer l’état déplorable où est l’agriculture, à moins de l’avoir vu de ses propres yeux en parcourant les campagnes et de s’être un peu appliqué à cette partie négligée… On est surpris qu’il se trouve encore des laboureurs en France et que les disettes de blé ne se fassent pas sentir plus vivement et plus fréquemment… Lorsque

  1. Avec la livre à 1 fr, 86, ce serait la parité approximative de 15 fr. 10 le 100 kilos.
  2. Détail de la France, édition Guillaumin, p. 253.