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III. — La liberté économique.

Les physiocrates, à cet égard, réclamaient deux libertés qui manquaient plus ou moins à leur temps, c’est-à-dire la liberté des cultures et la liberté des échanges. Ainsi l’on voit Quesnay demander « que chacun soit libre de cultiver dans son champ telles productions que son intérêt, ses facultés, la nature du terrain lui suggèrent pour en tirer le plus grand profit possible[1], » et « qu’on maintienne l’entière liberté du commerce : car, ajoutait-il, la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’État consiste dans la pleine liberté de la concurrence[2] ». De là la fameuse maxime attribuée à Gournay : « Laissez faire, laissez passer », maxime qui peut bien remonter à d’Argenson[3] et qui autoriserait l’anarchie si on voulait la prendre en dehors des circonstances qui la faisaient alors adopter et en dehors du sens que les physiocrates lui donnaient.

Peut-être bien chez Quesnay cette liberté est-elle surtout regardée comme un procède pour faciliter l’écoulement des denrées, augmenter le produit net des terres et améliorer la condition du cultivateur[4]. Mais chez Mercier de la Rivière elle est certainement tout un principe ; et celui-ci découle de la liberté personnelle, comme le principe de la propriété des choses découlait aussi de la propriété de la personne. Par définition, le bien devait résulter du libre jeu des intérêts particuliers abandonnés à leur mutuelle concurrence.

« Le monde alors va de lui-même, dit Mercier : le désir de jouir et la liberté de jouir, ne cessant de provoquer la

  1. Maximes générales du gouvernement économique, XIIIe maxime.
  2. Ibid., XXVe maxime. — Voyez aussi XVIe et XVIIe maximes.
  3. L’action de d’Argenson n’a été révélée que récemment et l’on peut dire par M. Oncken, Die Maxime « laissez faire et laissez passer », ihr Ursprung, ihr Werden, 1886. — Voyez aussi M. Sauvaire-Jourdan, Isaac de Bacalan, 1903, pp. 27-28. — Mais rien de d’Argenson ne fut imprimé de son vivant, et son action ne put s’exercer que dans un cercle restreint.
  4. Sur le Libéralisme économique dans les œuvres de Quesnay, voyez un article de M. Truchy, dans la Revue d’économie politique, décembre 1899.