Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espèces de valeur : valeur d’usage et valeur d’échange, comme dira plus tard Adam Smith[1].

La valeur d’un objet, d’après la Morale, repose sur une appréciation que le sentiment du besoin nous inspire.

« Pour que l’échange puisse se faire, dit Aristote, les objets à échanger doivent être ramenés à une certaine égalité ; mais pour qu’ils puissent être ramenés à l’égalité, il faut qu’on puisse les comparer entre eux, et pour les comparer entre eux il faut une commune mesure : donc, en résumé, il est nécessaire pour l’échange qu’il y ait une commune mesure d’appréciation… Cette mesure commune, c’est le besoin. Cela est évident, car l’estimabilité des choses en vue de l’échange vient, non de leur perfection intrinsèque, mais de leur aptitude à servir aux besoins de l’homme. C’est ainsi que le blé a une valeur d’échange, tandis que les mouches n’en ont pas, bien qu’elles soient en elles-mêmes plus parfaites que le blé. Donc, de même que les choses n’ont de valeur que par rapport aux besoins de l’homme, de même le besoin est la mesure de la valeur, et c’est pourquoi, quand le besoin de blé est plus grand à cause d’une disette, le blé acquiert plus de valeur. D’où il résulte que, si les hommes n’avaient besoin de rien pour leur usage, personne ne ferait d’échange[2]. »

Cette distinction des deux valeurs engendre la distinction des deux modes d’acquisition.

Il y a : 1° la méthode primitive et naturelle, dans laquelle

  1. « Toute propriété a deux usages, qui tous deux lui appartiennent essentiellement, sans toutefois lui appartenir de la même façon. L’un est spécial à la chose, l’autre ne l’est pas. Une chaussure peut à la fois servir à chausser le pied ou à faire un échange » (Politique, 1. I, ch. III, §11, traduction de Barthélémy Saint-Hilaire). — M. Souchon (Théories économiques dans la Grèce antique, pp. 126-127) croit cependant qu’il y a une singulière exagération à vouloir tirer tant de conséquences de quelques mots sans portée. « Ils pourraient être décisifs, dit-il, si Aristote en avait vu l’importance : mais il n’en a pas été ainsi, et ce que veut établir l’auteur à la suite de sa distinction, c’est simplement ce qu’il y a d’artificiel dans l’échange. »
  2. Morale, 1. V, ch. v, art.2, §7.