Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres les observations sur les inégalités de rendement des capitaux[1], la fameuse comparaison du taux de l’intérêt avec le niveau d’un étang qui, en s’abaissant, rend des terres à la culture[2], enfin la théorie nouvelle et fort judicieuse du calcul de la richesse nationale[3]. On a voulu trouver dans ces Réflexions une première ébauche de la loi du salaire nécessaire[4] que Lassalle formulera plus tard. Mais les expressions de Turgot, placées dans un parallèle tout physiocratique qu’il établit entre l’ouvrier et le laboureur, signifient simplement que l’ouvrier ne produit rien, qu’il gagne seulement son salaire et que ce salaire, limité par la concurrence des autres, lui sert seulement à vivre, tandis que « la position du laboureur est bien différente », puisque « la terre, indépendamment de tout autre homme et de toute convention, payé immédiatement à ce laboureur le prix de son travail[5] ». Tout au contraire de l’opinion qu’on avance, Turgot a eu la conviction de la variabilité du taux des salaires au dessus du minimum de la loi d’airain ; bien plus, il a eu aussi l’intuition du rapport naturel de ce taux avec la productivité du travail[6].

  1. Op. cit., §§ 85-86.
  2. Op. cit., § 89.
  3. Op. cit., §§ 90-91.
  4. « En tout genre de travail il doit arriver et il arrive en effet que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance » (Op. cit., § 6).
  5. Op. cit., § 7. — Les mots cités ici suivent immédiatement la prétendue formule du salaire nécessaire. — Cette nuance essentielle de la pensée de Turgot est restée inaperçue de M. Denis, Histoire des systèmes économiques et socialistes, t. I, p. 171.
  6. « Il y a, a-t-il dit, entre les richesses produites, le revenu et les salaires, une proportion naturelle qui s’établit d’elle-même et qui fait que ni l’entrepreneur ni le propriétaire n’ont intérêt que les salaires baissent au dessous de cette proportion. Outre qu’en tout genre l’homme mal payé et qui ne gagne pas par son travail une subsistance abondante, travaille moins bien, l’homme salarié, s’il gagne moins, consomme moins ; s’il consomme moins, la valeur vénale des productions du sol est moindre… La haute valeur vénale des denrées du sol et le fort produit mettent le cultivateur et le propriétaire en état de donner de forts salaires aux hommes qui vivent de leurs bras. Les forts salaires mettent ces hommes salariés en état de consommer davantage et d’augmenter leur bien-être » (Observations sur le mémoire de M. Graslin, Œuvres, t. I, pp. 437-438).