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philosophique que celle de Condillac, outre que les quatre causes qu’il assigne à la valeur — c’est-à-dire l’utilité, les frais indispensables, la rareté et la concurrence — ne sont ni logiquement isolées les unes des autres, ni réduites à leur plus simple et unique expression[1].

À lire la faiblesse des arguments que les derniers physiocrates apportaient contre la productivité de l’industrie, on sentait que leur règne était passé et ne pouvait pas revenir[2].

Au moment de la « guerre des farines » (avril 1775) parut l’ouvrage de Necker sur la Législation et le commerce des grains[3], ouvrage qui eut un immense succès. Rien cependant ne justifie cette appréciation. Ce n’est qu’une œuvre d’actualité, pour ne pas dire d’ambition privée et d’opposition politique. Necker n’a ni système, ni principes. Il soutient que la population contribue plus que la richesse aux forces d’un État, et il ne se préoccupe pas du rapport qui peut exister entre l’une et l’autre ; avide de popularité, il prend parti pour les procédés artificiels qui assurent les approvisionnements des villes ; il entreprend de démontrer que la liberté du commerce des grains est préjudiciable aux manufactures et aux ouvriers. Dans ce dernier ordre d’idées, Necker ne craint même pas d’exciter les passions populaires contre la propriété et l’ordre social[4]. Au demeurant, ce n’est qu’un empirique,

  1. Le Trosne, Intérêt social, ch. I, §§ 5-8, pp. 890-895.
  2. Ibid., ch. V, pp. 936 et s.
  3. Necker (1732-1804), né à Genève. Il crée à Paris, en 1762, la maison de banque Thélusson, Necker et Cie, d’où il se retire, en 1772, avec une grosse fortune. Necker devait s’être enrichi par des spéculations un peu suspectes, d’abord sur les fonds publics en 1763, au moment du traité de Paris, puis sur les blés, au moment des édits de 1763 et 1764 sur la liberté de la circulation des céréales ; Necker succéda à Turgot, de 1776 à 1781, mais sans avoir rang de ministre, à cause de sa qualité de protestant. Son administration financière fut passable, mais son administration économique fut franchement mauvaise. Il jouissait d’une popularité de mauvais aloi, qui le fit revenir au ministère, du 26 août 1788 au 8 septembre 1790. Il mourut oublié à Genève en 1804.
  4. « On dirait — écrit Necker — qu’un petit nombre d’hommes, après s’être partagé la terre, ont fait des lois d’union et de garantie contre la multi-