Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait éprouvée en se démontrant à lui-même la fausseté de la prétendue loi du salaire nécessaire, « une de ces lois, disait-il, qui légitiment toutes les duretés et qui, en démontrant l’impossibilité du progrès, dispensent tout le monde de le poursuivre[1] ». Et il constatait que le salaire a une double base : l’une qui se déduit des besoins de l’ouvrier, parce que la population ouvrière ne pourrait ni vivre, ni se renouveler, s’il n’y était pas pourvu, ainsi que l’avait déjà remarqué Adam Smith[2] ; l’autre, qui se déduit du gain que l’ouvrier procure au patron, c’est-à-dire de la productivité du travail. Il est vrai que Thünen demande à l’ouvrier de ne se marier qu’avec le sentiment de la responsabilité qu’il assume et du progrès auquel il doit faire monter ses enfants[3].

De là, quoi qu’il en soit, sont venues, chez Thünen, deux formules restées fameuses l’une et l’autre.

D’après la première de ces formules, « le salaire est égal au surcroît de produit fourni dans une grande exploitation par l’ouvrier placé le dernier », parce que, suivant l’expression de M. Block, « on ne peut pas augmenter indéfiniment le nombre des ouvriers qu’on met à une besogne, sans qu’il y ait un moment où le produit ne vaudrait pas le salaire qu’il a coûté[4] ». Dans un champ de pommes de terre, par exemple, pour faire enlever en un jour les tubercules contenus dans un morgen, on emploie cinq ouvriers, qui en enlèvent 80 hectolitres, mais qui en laissent quelque peu. Si on employait six ouvriers, ils en enlèveraient 86 hectolitres dans leur journée : donc le dernier ouvrier placé donnerait un surcroît de rendement égal à la valeur de 6 hectolitres. Théoriquement, ce der-

  1. Lettre du 7 nov. 1830, citée par Schuhmacher (Ueber Thünen’s Gesetz vom naturgemæssen Arbeitslohne und die Bedeutung dieses Gesetzes fur die Wirklichkeit, 1869, pp. 3-5).
  2. Richesse des nations, 1. I, ch. viii, t. I, p. 88.
  3. Lettre du 7 novembre 1830.
  4. Block, Progrès de la science économique depuis Adam Smith, lre édit., t. II, p. 262.