Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/370

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(1787), où il critiquait certaines idées d’Adam Smith, et son Manuel d’économie politique, qui est le formulaire le plus absolu du « laissez-faire » et du « laissez-passer »[1]. Mais au fond, auprès des hommes-sérieux et des esprits philosophiques, Bentham, avec ses exagérations, a nui à la cause de la liberté économique plutôt qu’il ne l’a servie, parce qu’il a eu le tort de faire du principe économique la règle suprême du bien et du mal, règle jugée capable d’éclairer toute la conduite de l’homme et jugée digne aussi de l’inspirer. Le moraliste utilitarien a affaibli justement le prestige de l’économiste.

Profitons donc de cette occasion pour nous expliquer sur le principe économique, parfois si mal compris et si défiguré.

Il ne faut voir en lui qu’un procédé d’action, mais nullement une règle de conduite, ni la loi du but à atteindre. Il est simplement la formule du moindre effort pour le plus grand résultat : à ce titre, s’il a une application toute particulière dans l’économie politique, c’est-à-dire dans l’ordre du travail et de la production, il en a d’autres aussi dans tous les ordres sans exception. C’est avec ce principe que le cultivateur choisit entre les genres de culture ou entre les semences à jeter dans le sol ; c’est avec lui que le chercheur conduit ses études, pour apprendre le plus en le moins de temps ; c’est avec lui que le maître détermine ses méthodes d’enseignement, pour faire apprendre le plus avec le moins de peine ; c’est avec lui,

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  1. « Les actes spontanés des individus dans la carrière de l’industrie et du commerce, dit Bentham, dépendent de trois conditions : l’inclination, la connaissance et le pouvoir… Par rapport à l’inclination, le gouvernement n’a rien à faire, pas plus que pour augmenter le désir de boire et de manger. Par rapport à la connaissance il peut contribuer à la répandre… Par rapport au pouvoir, en tant qu’il consiste en capital pécuniaire, le gouvernement ne peut pas le créer : tout ce qu’il donnerait à un individu serait ôté à un autre. Mais il y a une autre branche de pouvoir consistant en liberté d’agir, et celui-là le gouvernement peut le donner sans frais. Il suffit d’abroger les lois gênantes, d’écarter les obstacles, en un mot de laisser faire » (Manuel d’économie politique, ch. i).