Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées de valeur et de travail, le travail dont il peut s’agir ici n’est que le travail épargné à celui qui reçoit la richesse, abstraction faite de tout travail effectivement accompli par celui qui la procure[1]. On conçoit donc mieux que le propriétaire d’une richesse, la procurant à autrui, reçoive sans, injustice une valeur supérieure au propre travail qu’il a dépensé, pourvu qu’il ne la reçoive pas supérieure au travail qu’il épargne à son coéchangiste en la lui procurant[2]. Ainsi ce ne sont plus les richesses qui s’échangent entre elles, ni les richesses qui ont une valeur : les services seuls sont l’objet de l’échange et seuls aussi ils ont une valeur. Mais l’effort épargné à celui qui reçoit le service est ordinairement égal à l’effort accompli par celui qui le rend : et de là est venue la confusion qui se fait entre l’un et l’autre effort et qui cependant doit être écartée.

Bastiat n’est pas moins opposé au principe de population de Malthus. À ses yeux, « toutes choses égales d’ailleurs, la densité croissante de population équivaut à une facilité

  1. Harmonies économiques, ch. v, « De la valeur ». — Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., p. 32.
  2. Ingram s’exprime, a ce propos, de manière à ne pas laisser voir si Bastiat mesure la valeur d’échange d’une richesse d’après l’effort dépensé par celui qui la donne, ou bien au contraire d’après l’effort épargné à celui qui la reçoit. Cependant c’est là la grande différence entre Ricardo, qui tenait pour la première opinion, et Bastiat, qui tient pour la seconde. « Nul ne conteste, dit Ingram, que ce que l’on paye la plupart du temps dans les transactions humaines, c’est l’effort. Mais c’est assurément une reductio ad absurdum de sa théorie de la valeur (théorie de Bastiat) comme doctrine d’application universelle, que de représenter le prix d’un diamant trouvé accidentellement comme étant la rémunération de l’effort fait par celui qui l’a trouvé pour se l’approprier et le transmettre à d’autres » (Histoire de l’économie politique, p. 256). Qu’est-ce que cela veut dire ? J’avoue ne comprendre ni les idées, ni les mots. Surtout, si Ingram avait lu Bastiat, il aurait vu, avec l’exemple du diamant (qui est bien fourni par Bastiat), que la valeur du diamant trouvé par hasard — valeur égale à celle du diamant reçu des Indes ou du Brésil — est non pas la rémunération de l’effort fait par celui qui le trouve, mais bien l’équivalent de l’effort épargné à celui qui le reçoit, parce que celui-ci est dispensé ou bien de faire cet effort (comme dans l’exemple de l’eau portée à domicile) ou bien de le faire faire (comme ici dans l’exemple du diamant). Il y a là une application nécessaire de la loi d’indifférence : et Bastiat ne songeait nullement à y contredire.