Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objet », il est clair qu’une altération profonde de notre nature intellectuelle et morale, ou bien un changement radical survenu dans notre manière de sentir et de juger ce qui est mal et ce qui est bien, ne pourrait pas ne pas avoir une immense répercussion sur les institutions, considérées dorénavant comme des combinaisons et des procédés que les hommes peuvent imaginer pour se soustraire tout ensemble aux lois économiques et aux lois morales.

« Depuis le milieu du siècle, a-t-on dit, une réaction salutaire est partie d’Allemagne. On a reconnu que les prétendues lois naturelles de la vie économique n’étaient au fond que des lois sociales soumises elles-mêmes à la loi supérieure de l’évolution, et que c’était une erreur d’attribuer une valeur universelle à des observations tirées par abstraction de l’étude du présent[1]. » Et la « loi supérieure de l’évolution aurait bien embrassé l’ordre économique, puisqu’il est « hors de doute que l’homme a existé sans travailler pendant d’immenses séries d’années[2] » ; elle aurait embrassé aussi l’ordre moral, puisque « trop d’observations prouvent que le sentiment qui unit parents et enfants est un produit de la civilisation[3] ».

Toutefois l’idée de ces changements est plus qu’une hypothèse, elle est une erreur. Le monde physique ne change pas autour de nous ; le monde moral que nous sommes nous-mêmes, ne change pas davantage en nous.

Ce qui peut changer et ce qui change, c’est seulement notre connaissance plus ou moins exacte et plus ou moins complète des forces que ce monde physique renferme et peut être contraint de mettre à notre disposition ; c’est la perspicacité plus ou moins grande que nous apportons à connaître les lois du monde moral ; c’est la bonne ou la mauvaise foi avec laquelle la généralité des hommes

  1. Pirenne, préface aux Études d’histoire et d’économie politique de Karl Bücher, p. vi.
  2. Bücher, Études d’histoire et d’économie politique, p. 6.
  3. Ibid., p. 15.