Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/576

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de charité que le christianisme avait apportés avec lui comme une vertu surnaturelle[1].

Ce fut cette transformation qui fut jugée insuffisante. Toutefois nous serions entraîné trop loin si nous entreprenions ici d’étudier la morale de la solidarité. Nous voulons simplement noter que si l’idée nouvelle de solidarité est contemporaine de l’idée non moins nouvelle de «justice sociale », l’une comme l’autre aboutissent à un affaiblissement de la notion du devoir chez l’individu. Car, si c’est la société qui doit la justice et non pas ; nous la charité, et si nous sommes tous solidaires les uns des autres pour donner ou pour demander, les uns dans la limite de nos ressources et les autres dans celle de nos appétits, il est bien clair, ce me semble, que je n’ai, moi, le devoir de soulager autrui que dans cette mesure infiniment petite où je concours moi-même à constituer la société. C’est sur l’idée de la solidarité que reposent actuellement toutes nos lois ouvrières déjà votées ou prêtes à l’être. On poursuit par elles un bien général et moyen, fait d’une masse d’injustices particulières, comme si la mise en commun de tous les intérêts et de tous les droits devait consoler chacun de nous d’une moindre justice observée à son égard, par le spectacle de satisfactions, gratuites accordées à d’autres hommes en dehors de ce même domaine de la justice.

La loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail admet pour partie cette explication. Avec l’ancien régime de l’article 1382 du Code civil, l’ouvrier victime d’un accident était dans l’alternative d’obtenir une réparation théoriquement intégrale s’il y avait une faute du patron, ou bien de n’en obtenir aucune si cette faute n’avait pas été commise. Maintenant la loi donne à l’ouvrier dans tous

  1. Nous signalons une discussion fort instructive de la morale progressiste et humanitaire d’après les arguments de M. Hector Denis, dans le R. P. Castelein (Appendices (en français) aux Institutiones philosophise moralis et socialis, 1899, pp. 579 et s.).