Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/599

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âme analogue à nos âmes et certainement supérieure à elles ? Nous ne sommes plus rien dans le grand être collectif. L’individu, fondu et absorbé dans la pâte sociale ou humanitaire, n’a pas plus de pouvoir que nous n’en attribuons à la moindre de nos propres cellules, alors que celles-ci, dépourvues selon nous de conscience et de vie personnelle, reçoivent de notre âme même la vie et le principe du mouvement.

Les sociologues de ces écoles ont parfois la franchise de convenir de cet anéantissement du moi.

« Ce que la sociologie entreprend — dit un des plus renommés d’entre eux, M. Gumplowicz — ce n’est au fond pas moins que de changer fondamentalement les opinions : de l’homme sur son propre moi intellectuel. Déjà l’insignifiance complète de l’individu dans la marche de révolution humaine est une thèse qui ne peut que médiocrement plaire à l’individu qui se croit seigneur et couronnement de la création. Cette insignifiance complète de l’individu — sa libre volonté comprise — est un pilier fondamental de la sociologie… Celle-ci enseigne que l’homme pense et agit… uniquement dans le sens de son groupe, et que le groupe mène sa vie propre, sur laquelle l’individu n’exerce aucune influence[1]. »

Au point de vue pratique, tous ces systèmes ont le grave défaut d’enfanter des « théories d’irresponsabilité », comme des socialistes sont eux-mêmes obligés d’en convenir. Alors c’est dans la contrainte socialiste qu’ils sont amenés à se rejeter, ne trouvant guère autre chose, d’ailleurs, que de grands mots et de grandes phrases pour prédire l’universel

  1. Gumplowicz, Sociologie et politique, trad. franc., pp. 138-139.— M. Penjon, professeur de philosophie à l’Université de Lille, dans son mémoire l’Énigme sociale (1902), publié aux frais et par les soins de l’Université de Lille, enseigne que le conflit entre là cupidité des uns et les besoins des autres ne procède que de la fausse idée que nous nous faisons de nous-mêmes, en nous imaginant « que nous sommes des substances, ou des personnes » (Op. cit., p. 5). « Le vrai progrès viendra, dit-il encore, lorsque nous aurons répudié cette idée de personnes et de substances qui est le principe de l’égoïsme » (Ibid., pp. 93-98).