Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/612

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pudeur, division naturelle des fonctions entre les deux sexes, tout est foulé aux pieds, tout est sacrifié à des combinaisons dont l’absurdité n’est égalée que par l’infamie[1]. »

Le second dialogue — les Lois, Οι Νομοι, en douze livres — nous présente une doctrine beaucoup plus mitigée et moins grossière, non pas que les idées du philosophe se fussent modifiées dans l’intervalle, mais parce que, reconnaissant l’impossibilité pratique de réaliser un État parfait, où tout, biens, femmes et enfants, aurait été commun, il se mit à en décrire un autre, moins parfait et certainement bien inférieur selon lui, mais d’une réalisation moins hypothétique. Lui-même en donne cette raison là[2].

Cette fois Platon renonce à la communauté, puisque ses

  1. Alfred Sudre, Histoire du communisme, 5e édition, 1850, p. 29. — À l’heure qu’il est cependant, une nouvelle opinion s’est fait jour sur la République. M. Souchon convient du socialisme des Lois : mais il n’en voit point en dehors de là. « Seul, dit-il, le Platon des Lois a été vraiment socialiste. Quant à la République, si souvent invoquée comme le meilleur titre de noblesse de toutes les doctrines réformatrices de notre temps, elle n’avait en réalité rien de commun avec leurs principes… Le fameux communisme platonicien a été conçu sous l’empire de considérations étrangères à l’économie… Il est d’abord absolument certain que la République n’entend pas proscrire la propriété privée. Elle se propose au contraire d’en faire l’apanage des classes directement productrices, des artisans, des laboureurs et des marchands. Ici, bien que la pensée de l’auteur n’ait pas été exprimée, elle ne saurait être douteuse… Aristote, quand il critique les opinions de son maître, ne prend pas la peine de leur restituer leur véritable physionomie, et il critique un système de communisme général qui n’est pas celui de Platon. » Et la conclusion de M. Souchon, c’est que la communauté des biens, limitée aux deux premières classes et inspirée par le désir de justice qui domine tout l’ouvrage, est « comme le contrepoids aux pouvoirs considérables attribués dans l’État, soit aux guerriers, soit aux magistrats ». Bref, ajoute-t-il, « il est assez naturel de s’inscrire d’abord en faux contre la tradition qui voit dans le chef-d’œuvre platonicien le manifeste capital du socialisme dans l’antiquité » (Souchon, Théories économiques dans la Grèce antique, 1898, pp. 143-155). — Nous signalons cette opinion nouvelle à titre seulement de curiosité, car nous avons peine à croire qu’Aristote connût moins bien la pensée de Platon ou fut moins capable d’en lire la langue qu’on ne l’est actuellement.
  2. Nous avons exposé dans le texte l’opinion commune et traditionnelle sur la différence de la République et des Lois. « Voyant que chacun la blâmait, il s’en départit loisiblement », dit Bodin (République, 1. II, ch. i, éd. de 1589, p. 265). Nous venons de voir que M. Souchon improvise une opinion diamétralement opposée.