Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses besoins de personnalité. Raisonner juste en partant d’un principe faux, et marcher ainsi jusqu’au bout sans voir aucune des difficultés ou des impossibilités que la nature même des choses nous met sur notre route, c’est bien là un défaut distinctif des esprits utopiques.

Si nous nous demandons maintenant quels sont les points faibles dans les prémisses de Platon, nous répondrons :

1° Que sa théorie implique le pouvoir absolu de l’État, s’imposant à l’individu pour l’asservir et à la famille pour la dissoudre. Or, un tel principe serait contraire aux droits indépendants de l’individu et de la famille, logiquement antérieurs à ceux de l’État ;

2° Que cette union absolue rêvée entre les citoyens, cette union à laquelle Platon osait tout sacrifier, n’est pas le but de l’État ; « Chaque homme, en effet, a une fin indépendante de celle d’autrui ; et, en vertu de cette loi, le bonheur et la perfection de chaque homme sont en soi indépendants du bonheur et de la perfection des autres. Ils dépendent essentiellement de nos vertus personnelles. Ce qui nous rend heureux et parfaits, ce n’est pas la communauté des mêmes pensées, des mêmes sentiments et des mêmes volontés : mais c’est leur vérité et leur rectitude[1]. »

Nous ajouterons enfin :

3° Que quand bien même cette union devrait être poursuivie comme la fin suprême de l’État, il est hors de doute que le moyen imaginé par Platon n’aurait pas pu atteindre le but. Jamais, en effet, les discordes ne sont plus vives et plus continuelles que dans les régimes de communauté et d’indivision[2]. Et cela, toute question de morale naturelle mise à part en ce qui concerne la communauté des femmes et des enfants.

  1. R. P. Castelein, Socialisme et droit de propriété, p. 139.
  2. C’est le mot de saint Thomas : « Inter eos qui communiter et ex indiviso aliquid possident, frequentius jurgia oriuntur » (Summa theologica, IIa, IIae, quæst. LXVI, art. 2). Voilà pourquoi le Code civil n’est pas favorable au pacte d’indivision, bien distinct du contrat de société.