Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/645

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sociales de son temps, et où, comparant le travailleur moderne à l’esclave antique, il conclut pour le bonheur relatif de l’esclave[1]. « Cette idée de Linguet — disait Alfred Sudre il y a soixante ans— a été reproduite et développée de nos jours par des écrivains ultradémocratiques. Les communistes et les socialistes modernes, se sont emparés des imprudentes déclarations de Necker, de Linguet et de quelques autres écrivains de cette époque. Ils en ont cité les passages les plus véhéments, en les isolant de ceux qui pouvaient leur servir de correctif. Dirigés seulement contre les abus de la propriété, ces écrits sont devenus une arme redoutable entre les mains de ceux qui aspirent, non à perfectionner, à épurer le principe de la propriété, mais à le détruire[2]. »

On peut citer encore Mercier, auteur du Tableau de Paris et du roman utopique L’An 2440 ; l’écrivain pornographe Restif de la Bretonne ; l’abbé Raynal, etc. Ce dernier donna, en 1770, l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, — ouvrage assez incohérent, dont certaines pages sont inspirées par les théories des physiocrates et dont certaines autres, écrites assez probablement par Diderot, sentent très franchement le socialisme.

Voilà ce qu’il y eut de nettement socialiste parmi les précurseurs du grand mouvement de 1789 et de 1793. Mais, à proprement parler, y eut-il un courant socialiste dans la Révolution et quel en fut le caractère ? Généralement on se hâte de donner une réponse négative à la

  1. Voir Linguet socialiste, dans le Socialisme utopique de M. Lichtenberger, pp..77 et s.
  2. A. Sudre, Histoire du communisme, 5e éd., p. 258. — Schæffle ayant copié des pages de Linguet, Mgr Scheicher, professeur au grand séminaire de Saint-Poelten, les a recopiées à son tour en les donnant comme un témoignage et une preuve de la misère des classes ouvrières contemporaines ! (Voyez le Clergé et la question sociale, par Mgr Scheicher, traduction française de 1897, pp. 52-55). Voilà comment certains chrétiens sociaux se documentent sur l’état social contemporain ! Est-ce l’ignorance qu’il faut accuser, ou bien la mauvaise foi ?