Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/701

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pas un vol subjectif et formel ; il est inévitable, il résulte de toute l’organisation sociale, il n’est pas imputable à tel ou tel patron ; par conséquent il ne peut pas ne pas être commis par un patron qui serait personnellement plus désintéressé et moins rapace que les autres. Marx ne rend pas « l’individu isolé responsable des conditions dont il dépend socialement, comme cet individu devrait Têtre s’il pouvait s’élever subjectivement au dessus d’elles[1] ».

— Cette deuxième thèse de Marx — la thèse de la plus-value — est aussi fausse que la première. Il n’est pas vrai que le capital soit un vol, même simplement objectif, parce qu’il n’est pas vrai que le gain de l’entrepreneur soit un vol sur l’ouvrier, vol accompli au moyen du surtravail.

D’une part, en fait, rien ne prouve que six heures de travail produisent une valeur égale aux besoins des travailleurs. Nombre d’entrepreneurs végètent ou se ruinent en faisant travailler le temps normal et usuel, qui est actuellement en France de dix à onze heures et rarement davantage, très souvent beaucoup moins ; nombre, aussi, de travailleurs autonomes se ruinent ou végètent en travaillant autant, plus même ordinairement, que les salariés de l’industrie. L’assertion de Marx reste donc dénuée de preuve et de vérité[2].

  1. Cette distinction du vol objectif et matériel, que l’individu commet sans en être responsable parce que ce sont les conditions sociales qui l’y condamnent, n’est pas spéciale à Karl Marx. Les démocrates chrétiens l’ont maintes fois employée, par exemple pour expliquer le prêt à intérêt, dont la pratique est due, suivant eux, aux vices d’une organisation capitalistique destinée à disparaître avec une transformation radicale de la société (en ce sens, Georges Goyau, Autour du catholicisme social, 1897, p. 247 ; — R. P. Antoine, S. J. , Économie sociale, 1re éd., p. 507). Ces formules, chez les démocrates chrétiens, ont le grand avantage de leur permettre, d’une part, de déclamer contre la société contemporaine et le libéralisme économique, d’autre part, de continuer en sécurité de conscience à gérer leur fortune comme tout le monde et à payer les salaires de leurs ouvriers au taux de tout le monde.
  2. À plus forte raison en est-il de même de cette assertion parfaitement gratuite et injustifiée de M. Ch. Andler : « L’obligation, dit-il, de ne pas renvoyer d’ouvriers ou simplement la résolution prise par une coopérative