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principe de liberté que ceux-ci retrouvaient dans la législation justinienne[1].

Toutefois déjà, même au XIIIe siècle, la thèse de la gratuité du mutuum n’allait point sans contradictions et sans difficultés. Albert le Grand, dans sa République, concédait déjà que « si l’usure est contre la perfection des lois chrétiennes, au moins n’est-elle pas contre les intérêts civils[2] » ; et François de Mayronis commence à montrer le vice du fameux argument d’Aristote sur l’improductivité de l’argent. « Il n’apparaît pas, dit-il, que l’usure soit illicite en droit naturel. L’argent, objecte-t-on, est stérile, et c’est pourquoi il ne doit pas produire de fruits en sorte que l’on reçoive plus que l’on n’a prêté. Je réponds qu’au point de vue politique l’usage des choses s’apprécie par l’utilité dont elles sont dans l’État. Les choses ne sont ni stériles, ni fécondes en elles-mêmes, mais selon l’usage qu’on peut ou non en faire ; or, l’argent a des utilités multiples[3]. »

La licéité du contrat de rente, d’abord contestée par Henri de Gand, au XIIIe siècle, puis finalement admise et même imposée par le Saint Siège, au moins quand les rentes étaient rachetables, quand elles ne rapportaient pas plus de 10 % et quand le capital fourni servait à l’amélioration de bona stabilia et frugifera sur lesquels elles étaient constituées, porta le plus rude coup au principe sur lequel on fondait la gratuité du prêt[4].

  1. Sur le parallèle entre les théologiens et les juristes, consulter Ashley, op. cit., 3e édition anglaise, t. I, pp. 148 et s.
  2. Albert le Grand (1205-1280), évêque de Ratisbonne et maître de saint Thomas d’Aquin (voir le Mémoire de M. Jourdain).
  3. François de Mayronis, dans son Liber sententiarum.
  4. Voir nos Éléments d’économie politique, 2e édition, pp. 473-474. — Il est à présumer que si les papes Martin V et Calixte III ont été appelés à statuer sur cette question, le premier en 1425, dans sa lettre à l’évêque de Breslau, et le second en 1455, dans sa lettre à l’évêque de Merseburg, c’est parce que les revenus des Églises consistaient beaucoup en rentes et qu’elles se heurtaient à des refus de paiement colorés d’un prétexte de résistance à l’usure. Ashley conjecture que l’hérésie des Hussites ne fut pas étrangère à ces difficultés (Ashley, op. cit., II, ch. vi, 3e éd. angl., t. II, p. 410). — Les rentes dont il s’agissait n’étaient ni le bail à rente, ni la rente volante proprement dite (nous nous expliquerons sur cette dernière, infra, p. 93).