Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/740

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tous les socialistes — elle ne doit pas appartenir aux non-travailleurs. Voilà déjà la condamnation de tous les revenus sans travail ; voilà par conséquent la condamnation de la rente et des profits, en prenant ce dernier mot au sens le plus large, mais aussi le plus inexact, que les anciens économistes anglais y aient donné.

C’est là ce qu’on appelle la partie négative de la formule du « droit au produit intégral du travail ». Jusque là, aussi, l’accord est parfait entre les socialistes, unanimes à professer que « le montant des revenus oisifs donne la exacte de la spoliation des travailleurs[1] ».

Mais, dès qu’on sort de cette lutte des classes entre elles, dès que, après avoir écarté tous les bénéficiaires actuels des revenus sans travail, on aborde la partie positive de la formule du droit au produit intégral, on rencontre les divergences et les contradictions.

Le travailleur jouira-t-il isolément de tout ce qu’il aura produit, mais de cela seulement et de rien autre ? Alors la misère absolue continuera de peser sur quiconque aura été empêché naturellement de travailler, et une pauvreté relative continuera de peser sur quiconque aura produit moins que les autres, soit qu’il fût moins habile, soit qu’il fût moins diligent.

Ou bien, au contraire, en vertu du seul droit à l’existence, chacun jouira-t-il en proportion de ses besoins ? Si oui, la misère et même la pauvreté relative devront théoriquement disparaître : mais on aura émoussé le stimulant de l’activité au travail, et la misère, que l’on aura évitée dans la répartition, nous envahira par le terrain de la production, en n’y laissant plus croître assez de biens qui puissent être répartis.

Dans la première de ces deux solutions (droit au produit intégral proprement dit), l’individualisme subsistera entre les travailleurs. Dans la seconde (droit à l’existence), on

  1. Andler, loc. cit., p. xxxi.