Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/778

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Seul autrefois, dit-on, ce caractère de fonction sociale a légitimé la propriété, et ce rôle social n’étant plus rempli par suite des nouvelles formes politiques, il doit en résulter la suppression ou la transformation de la propriété elle-même.

Que répondre ? Il est vrai, en effet, que le propriétaire féodal était un administrateur et que le propriétaire foncier moderne est légalement dépourvu de toute attribution politique. Mais si cet argument a été produit de nos jours par des chrétiens sociaux d’Autriche[1], il faut bien se souvenir que la philosophie scolastique n’avait pas argué de cette confusion des rôles de propriétaire et de souverain. Nulle trace ne s’en rencontre, par exemple, dans saint Thomas[2]. Aussi bien saint Thomas, qui plane dans les sommets de l’abstraction et qui ne fait jamais allusion à quelque circonstance concrète de son temps et de son milieu, avait-il surtout défendu la propriété avec les arguments généraux et permanents d’Aristote ; et cette position qu’il prenait est d’autant plus remarquable qu’il vivait dans tout l’épanouissement du régime féodal, au temps où la propriété privée et la souveraineté politique étaient intimement unies depuis plusieurs siècles[3].

Seulement c’est une tendance de tout le groupe actuel des chrétiens sociaux, de voir partout des fonctions socia-

  1. Baron de Vogelsang, cité par Nitti, Socialisme catholique, tr. fr., p. 226 ; — Léon Grégoire, le Pape, les catholiques et la question sociale, 2e édition, 1895, p. 20 ; — etc., etc.
  2. Voyez plus haut, p. 42.
  3. Ashley cependant, après Roscher, produit une opinion de Langenstein qui serait favorable à cette explication. « The idea of class duties and class standard of comfort, dit-il, is either explicitly or implicitly referred to as the final test in every question of distribution or exchange. Thus Langenstein… tells the lords of land that their only just claim to their rents is founded on their fulfiling the duties of their class, and rightly governing and protecting those subject to them » (Introduction to English economic history and theory, § 64, 3e édition, t. II, p. 391). Mais on sait que le souverain féodal avait des charges et ne percevait pas d’impôts qui n’eussent pas le caractère de revenu patrimonial, à tel point qu’au XIIIe siècle on doutait encore de la légitimité des recettes fiscales du prince (voyez plus haut, p. 85).