Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/168

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mande, elle peut, si elle est encore debout, passer, à juste titre, pour une citadelle inexpugnable.

M. Sainte-Beuve s’était déjà posé cette question en examinant les pièces du procès intenté à Pascal par Voltaire :

Pour moi, disait l’heureux philosophe du dix-huitième siècle, quand je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour entrer dans ce désespoir dont parle M. Pascal ; je vois une ville qui ne ressemble en rien à une lie déserte ; mais peuplée, opulente, policée, et où les hommes sont heureux autant que la nature humaine le comporte. Quel est l’homme sage qui sera plein de désespoir parce qu’il ne sait pas la nature de sa pensée, parce qu’il ne connaît que quelques attributs de la matière ?…

Le fort de la polémique de Voltaire est là, ajoute M. Sainte-Beuve, dans cet argument qui a pourtant l’air relâché. Pascal lui-même ne l’a-t-il pas reconnu et exprimé à sa manière, quand il a dit : « La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues : elle incline l’automate, qui incline l’esprit sans qu’il y pense » ?

Il est bien vrai, en effet que le jour où, soit machinalement, soit à la réflexion, l’aspect du monde n’offrirait plus tant de mystère, n’inspirerait plus surtout aucun effroi ; où ce que Pascal appelle la perversité humaine ne semblerait plus que l’état naturel et nécessaire d’un fonds mobile et sensible ; où, par un renouvellement graduel et par un élargissement de l’idée de moralité, l’activité des passions et leur satisfaction dans de certaines limites