Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/255

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des facultés inemployées et des besoins inassouvis. Quand une fois on en est là, on va de l’avant. Ainsi fit M. Sainte-Beuve. Il était loin encore d’en avoir fini avec les solitaires de Port-Royal, que déjà il se trouvait à l’étroit dans leur paisible demeure, et qu’il s’échappait pour essayer ailleurs ses forces nouvelles. Les portraits littéraires se multiplient sous sa plume, et toujours on l’y sent plus à l’aise, déployant un esprit plus pénétrant et plus dégagé. En lui plus de contradictions, au dehors plus d’obstacles ni de barrières. L’horizon s’ouvre, et il se porte d’un point à l’autre avec une égale facilité. Sous quelque forme que lui apparaisse la vie humaine, il y entre, il la comprend, il la reproduit. Son style, autrefois plein de recherches, inquiet comme sa pensée, contourné, calculé, tout ensemble nuancé et heurté, insinuant et cassant, devient net, délié, rapide, sans cesser d’être ondoyant et riche. Sa phrase exprime en même temps l’éloge et le blâme, le fait et ses accessoires, la forme et ses accidents, la règle et l’exception. De tout temps elle y avait visé, de tout temps elle y avait réussi, mais on sentait le tour de force ; maintenant elle n’est ni moins souple ni moins ingénieuse, mais elle est souple comme la réalité, ingénieuse comme la nature. M. Sainte-Beuve est de tous les écrivains français celui qui est devenu le plus habile à dire deux choses à la fois. Que cette habileté ait dû s’acquérir, c’est