Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/392

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Mais le scepticisme fécond n’est jamais que celui qui regarde. Il a pour principe une sorte de haute curiosité, qui passionne l’intelligence. Ce n’est pas l’amour, mais elle y ressemble ; ce n’est pas la foi, mais elle en tient, et, comme l’amour, comme la foi, elle ne s’éteint que dans l’indifférence. Pourquoi donc quelques-uns des maîtres de l’école historique se piquent-ils de je ne sais quelle raideur d’insensibilité ? Que nous parlent-ils de calme observation, et que signifie cette prétention de nous faire une critique expurgée de tout jugement ? Cette férocité, comme l’appelle M. Stapfer, est sans doute très sérieuse d’intention ; mais elle ne dépassera jamais l’intention, car c’est le propre des matières qui relèvent du goût, de ne comporter ni l’indifférence, ni le calme de la pure observation scientifique. En littérature, tout est impression, et le travail, qu’on nous recommande aujourd’hui comme le plus puissant auxiliaire de la critique, a pour premier objet de varier nos impressions. Or les impressions ne se jugent pas du dehors. Il faut les avoir éprouvées pour en pouvoir parler. Si la critique croit commander la confiance en affectant l’insensibilité, elle se trompe ; le plus fin connaisseur est, au contraire, le plus impressionnable, celui qui est le moins maître de son émotion en présence de la beauté. On peut douter des théories littéraires, on peut hésiter à traduire une impression personnelle en un jugement